Bienvenue sur les TCA !
I. CARACTÉRISTIQUES MENTALES
DES TCA
Y a-t-il des
caractéristiques mentales spécifiques chez les malades
atteints de troubles du comportement alimentaire (TCA) ?
Beaucoup de malades
atteints d’anorexie mentale ou de boulimie partagent les
mêmes caractéristiques. Il est même fréquent que ces traits
soient tous présents, chez un même malade. Manque de
confiance, crainte constante et excessive du jugement de
l’autre, peurs et angoisse, difficultés sexuelles dominent
le tableau.
Le Maître Symptôme bien
sûr est la peur de grossir. Lorsqu’il s’agit
d’une malade atteinte d‘anorexie mentale, cette peur ne fait
de doute pour personne. Elle a réussi à maigrir au prix
d’efforts incroyables, ce qui lui a valu l’admiration de ses
pairs et la crainte de regrossir ; elle sait qu’elle a été
« grosse », elle a peur que le moindre kilo repris se
« voit ».
La malade atteinte de
boulimie a aussi cette peur de grossir. C’est cette peur qui
est le fondement de la boulimie.
C’est une certitude de
pensée : comme on sait qu’on a un gros nez.
Rien ne peut l’effacer, car il n’est pas possible de savoir
où commence le « trop ». Ce n’est pas « mesurable ». La
pensée d’être grosse dépend du regard que porte la société
sur cet aspect.
En termes symboliques
par ailleurs, un danger, c’est toujours trop. Car la mémoire
« allège le message » et les médias en rajoutent.
La malade se voit
grosse, se trouve difforme (trop grosses cuisses, ventre
énorme), alors que les autres ne voient qu’un squelette.
Elle sait qu’elle n’est pas grosse, mais elle
se sent grosse ! Au fond, cette peur d’être
grosse, c’est la conviction de ne peser rien dans sa vie.
La peur de manger :
plus la malade maigrit, plus elle a peur : elle sent qu’elle
« pourrait » lâcher et que, si elle lâchait, « tout
recommencerait ».
Les 10
caractéristiques mentales des malades atteints de TCA
1.
Le manque de confiance
Il est toujours là,
omniprésent, chez tous les malades. Derrière la toute
puissance de l’anorexique mentale, sa maîtrise de tout, il y
a une grande peur, un énorme manque de confiance en soi. Il
était souvent là avant, et la maladie ne fera que le
renforcer. La malade ne s’en rend parfois pas compte, mais
bientôt, elle se réveillera sans ami ni proche, sans vrai
projet ni avenir. Et cet état de fait ne sera pas là pour
lui redonner confiance.
Le manque de confiance
est le maître mot, la pensée dominante. Il accompagne les
malades partout, y compris sur le chemin vers la guérison.
Il conditionne la peur du regard de l’autre, les difficultés
face au désir, face aux autres, et notamment au sexe opposé.
La crainte de ne pas y arriver en découle directement. Ne
pas arriver à lutter, à guérir un jour.
La confiance est un
joyau : elle s’alimente chaque jour à travers ce que chacun
d’entre nous fait et réussit.
2.
L'excès de perfectionnisme
Il est lié en partie au
manque de confiance. Une définition d’abord : ce n’est pas
du perfectionnisme. C’est même tout le contraire. Car ici
l’excès de perfectionnisme confine vite à la maniaquerie, à
l’obsession. Tout doit être parfait, sinon on pourrait mal
vous juger. Certes, certain(e)s réussissent au delà de la
moyenne en classe, mais échoue dès qu’il s’agit d’activité
professionnelle adulte, faite de combativité,
de compétitivité. Ils ne savent plus. Pour une raison assez
simple : ils ne se battent alors plus que pour eux-mêmes !
Le perfectionnisme ici,
c’est surtout la peur d’offrir son flanc à la critique.
Alors on travaille deux fois plus que les autres. Or ce ne
sont pas les gens qui ont trop peur de rater qui réussissent
le mieux !
3.
Le besoin de tout maîtriser et la peur de « lâcher prise »
Le malade atteint d’un
trouble du comportement alimentaire a besoin de tout
maîtriser. Les malades atteints d’anorexie mentale comme de
boulimie. Dans la boulimie, il y a souvent au départ un
besoin excessif de maîtrise. Tout devrait être connu,
identifié, déterminé. Ce serait tellement plus simple : plus
de choix, plus d’angoisse face à ces choix.
Il y a plusieurs raisons
à ceci : la difficulté à faire des choix d’abord ;
l’angoisse face à l’inconnu (l’avenir) ; la peur de ne pas y
arriver ;
Se lâcher est une pensée
qui fait peur : est-ce possible, est-ce permis, est-ce sans
risque ? N’y a-t-il pas à lâcher prise une fois un risque de
ne plus pouvoir s’en passer.
Dans cette maîtrise que
recherche à tout prix les malades, il y a aussi la peur de
se faire plaisir et de ne pas pouvoir s’arrêter : c’est la
pensée de ce désir qui est énorme, pas la malade !
Ce besoin de maîtrise
est partout : pas de bain, où le corps risquerait de se
ramollir. Plutôt une « bonne » douche froide. Pas de douceur
d’un savon parfumé ; non, on frotte avec vigueur ou douleur.
Pas de sieste bien sûr, ni de repos ; pas de sorties non
plus ni d’ami(e)s… Il y a même chez certains malades une
difficulté à dépenser pour soi qui approche l’avarice.
Il faudrait apprendre à
lâcher prise, à se laisser aller parfois à la détente et au
plaisir. Mais c’est si difficile pour quelqu’un qui ne le
fait plus depuis si longtemps, qui a parfois même oublié ce
que se faire plaisir voulait dire, qui se sent bien
incapable souvent de dire ce qu’il a envie de dire, de faire
ou de devenir, de dire même si cela lui arrive parfois
d’avoir envie.
Il faut lui dire
plusieurs choses :
Que la
dénutrition enlève les envies ;
Que la
restriction alimentaire voue l’organisme à ne penser qu’à la
nourriture ;
Que peur
et envie ne font pas bon ménage ;
Que
l’envie revient... avec l’envie. « L’appétit vient en
mangeant » n’a pas d’autre signification ! L’organisme
cherche à limiter la souffrance ou le
manque. Ainsi le manque d’un plaisir que l’on a eu
s’atténue-t-il au fil du temps.
Que lâcher prise
signifie aussi admettre que l’on peut être déçu.
4.
La perte de l’image de soi
La perception de soi est
mise en place de façon totalement inconsciente très tôt.
Mais qui me dit que « JE suis moi » ? Petits, nous
construisons notre identité sur des actes : mineurs et
dérisoires peut-être, mais essentiels : nous reproduisons à
l’infini des gestes, des actes qui nous font exister en ce
sens qu’ils nous prouvent que celui qui les fait « quand il
veut », est le même, et donc doit être unique et « moi ».
Mais si je le fais et qu’en plus on le voit : c’est encore
plus moi.
5.
Le rejet du désir et la culpabilité
Le désir n’est jamais
une pensée simple à gérer. Pour désirer et l’accepter, il
faut avoir une image de soi qui le permette : le désir
est-il acceptable ? Il est clair que notre entourage et nos
parents dictent en quelque sorte notre relation à notre
propre désir. L’idée qu’ils n’ont pas le droit d’accéder à
leur propre désir est au centre du fonctionnement mental de
ces malades. C’est interdit n’est pas si souvent dicté par
leurs parents. Non, c’est quelque chose qu’ils se sont
imposés. Qui suis-je pour m’autoriser à ce plaisir ? Ces
malades n’arrivent pas à défendre leurs désirs à leurs
propres yeux, alors forcément aux yeux des autres !
6.
Le rejet de l’image de la femme
Est-ce un hasard si les
troubles du comportement alimentaire commencent à
l’adolescence. Est-ce un hasard si le corps est malmené par
les malades atteints d’anorexie mentale jusqu’à ne
ressembler que de très loin à une femme ? Est-ce un hasard
si les formes sont gommées et si la forme prévaut sur les
formes. Le rejet de ces malades sur les fesses, les cuisses
et le ventre est le témoin d’une peur du désir, le sien
propre et celui de l’autre.
Chez les malades
atteints de boulimie, cette peur, et souvent même ce dégoût
de leur corps peut être en rapport avec une expérience
sexuelle traumatisante.
Ces malades restent
cependant féminines. Pourquoi ? Il y a peut-être une
réponse : « paraître » une femme n’a rien à voir avec se
vivre « soi » comme une femme. Accepter son désir de femme,
accepter d’en « jouer » est un comportement qui vous
implique et fait qu’on vous juge !
Séduire est un acte
complexe. Si l’envie (le désir) de séduire est naturelle,
dictée par nos hormones et par la survie
de l’espèce, le plaisir de séduire est moins accessible,
surtout au détour de la puberté. La société ne fait rien
pour clarifier la situation. Toutes les groupes, hordes ou
troupeaux, ont à gérer ce difficile problème.
Le premier plaisir que
nous avons, chronologiquement, c’est le plaisir alimentaire.
Il se nourrit du désir de l’autre (le nourrisseur). Il est
alimenté par l’amour.
J’aime que tu manges,
j’aime te montrer que je mange. Ainsi, si l’alimentation,
c’est à dire faire pénétrer des aliments dans notre
bouche, a le sens de nourrir notre corps (en énergie, en
vitamines...), elle ne prend son sens qu’associé à l’amour.
7.
La difficulté d’expression verbale et émotionnelle
Un masque ! Tel est le
visage du malade atteint d’anorexie mentale. L’expression a
disparu, ensevelie sous la maîtrise. Le malade affiche une
physionomie figée, où chaque muscle est tenu, figé. Ne rien
laisser paraître de soi ! Un masque triste, parce que vide
de sens !
L’idée derrière ce
masque, est de ne rien montrer qui puisse lui être reproché.
A commencer par le désir. A finir par la colère qui les
hante parfois sans qu’ils en soient conscients.
Le contexte
physiologique ? La peur et l’instinct de survie développent
chez les animaux une attention particulière qui fait fi des
autres émotions. Pas de place pour gérer autre chose ! Pas
de temps pour ce faire. Les muscles sont tendus. Pour
l’organisme, le seul vrai danger est un danger physique. Et
le seul vrai moyen de s’en sortir est d’avoir les muscles
tendus pour pouvoir s’enfuir plus vite, dos au prédateur.
La guérison passe sans
doute inexorablement par l’expression de ses émotions.
Retrouver le chemin des émotions, pour les laisser parler à
chaque instant et ne pas les laisser s’accumuler en soi, est
crucial. Ce n’est pas la guérison, mais c’est un grand pas
vers elle. Mais exprimer ses émotions, ce n’est pas
seulement les dire, c’est aussi trouver l’expression juste
de la physionomie. C’est les exprimer !
Il faut y travailler
sans cesse et c’est pourquoi nous pensons que les groupes
d’expression corporelle et émotionnelle sont indispensables.
8.
Méfiance et tendance à la dissimulation
Un des traits souvent
reproché à ces malades est leur « besoin de mentir tout le
temps », leur « perversité ». « On ne peut pas leur faire
confiance ».
Le malade soumis à son
anorexie mentale ment pour pouvoir continuer à ne pas
manger. Ce faisant, il évite les conflits (il a horreur des
conflits) et garde un petit coin à lui. Il y a sans doute
aussi une certaine jouissance à faire quelque chose
d’interdit.
Pour le malade atteint
de boulimie, la dissimulation (« tous ces mensonges ») est
liée à la honte. Imaginez-vous engloutir en quantités
astronomiques des aliments cuits mais froids, avalés sans
faim, ni plaisir, dans une perte totale de contrôle ! C’est
que la honte rejaillit sur vous, vous vous voyez faire,
incapable d’y résister !
9.
L’attachement excessif à l’un des parents
Très souvent ces malades
disent à quel point ils sont attachés de façon excessive à
une mère ou à un père. Ou à l’inverse, que leur mère ou leur
père ne les « lâchent » pas et sont « gavants ». Mais rien
n’est moins facile que de n’être pas inquiet de la santé de
sa fille anorexique, si elle pèse trente deux kilos et
qu’elle refuse de manger.
L’adolescence est aussi
un âge où les ados trouvent leurs parents « gavants » et
souhaiteraient, sans y parvenir souvent, prendre le large.
Il est vrai aussi que
l’anorexie ou la boulimie favorisent un état de dépendance
et son corollaire, le refus et l’agacement, lorsqu’on manque
de confiance en soi. Ces troubles favorisent de plus un
éloignement social, une exclusion, qui font que seuls
restent les parents !
De plus, face à
l’angoisse du lendemain, de l’avenir, les parents
représentent l’enfance et ceci rassure. Il arrive parfois
que cet attachement excessif soit lié au fait que le parent
n’a pas su donner à l’enfant l’autonomie nécessaire à la
construction de son identité d’adolescent ; ou bien que
l’enfant n’a pas su ou voulu, ou osé prendre cette
autonomie.
10. La peur
de ne pas y arriver
Elle est au cœur du
problème. Elle était là avant, elle est là pendant et elle
accompagnera les malades jusqu’à la guérison, cette guérison
qu’ils ont peur de ne jamais atteindre !
La peur est vague,
confuse, omniprésente, elle vous tenaille. Elle s’immisce
dans toutes les fibres de leur corps, elle empoisonne leurs
pensées et guide leur comportement. Elle est là, toujours à
portée, à porter aussi et elle est si lourde. La peur d’être
vu, la peur d’être jugé, la peur d’échouer. Le trouble du
comportement alimentaire est un refuge où la peur est moins
forte, moins présente.
Il y a tant de problèmes
à résoudre dans la vie et elle ne sait pas : elle risque de
rater, de se ridiculiser. Derrière cette peur, il est un
sentiment qui ne dit pas son nom : un amour propre excessif.
II.
Les thérapies comportementales et cognitives
Les principes de l'approche cognitivo-comportementale
La thérapie se déroule classiquement en quatre phases :
l’analyse fonctionnelle, la définition des objectifs du
traitement, la mise en œuvre d’un programme thérapeutique,
l’évaluation des résultats.
L’analyse fonctionnelle permet de déterminer une stratégie
thérapeutique différant selon chaque patient, en fonction de
la problématique qui lui est propre. Elle vise à définir les
problèmes-clé, leurs tenants et aboutissants.
Les problèmes-clé sont, dans une visée pragmatique, ceux sur
lesquels on pense qu’une action positive est possible et
dont la solution permettra d’améliorer la qualité de vie de
l’individu. L’action modificatrice à entreprendre porte pour
l’essentiel sur les facteurs de maintien du
comportement-problème : en effet, dans la plupart des cas,
si le comportement perturbé est bien l’écho résiduel, le
vestige d’événements traumatiques anciens, il a au fil du
temps acquis d’autres sens, d’autres fonctions dans
l’économie de l’individu ; ce sont ces derniers qui le font
souvent perdurer.
En ce qui concerne l’obésité, les problèmes-clés sont le
plus souvent les troubles du comportement alimentaire (la
restriction cognitive aboutit à des compulsions
incontrôlables) et les difficultés psychologiques et
relationnelles qui favorisent les excès alimentaires. La
perte de poids n’est pas vue comme un but en soi, mais
découle des progrès dans ces domaines.
Le thérapeute dispose de différentes techniques utiles :
l’utilisation d’un carnet alimentaire, l’usage de consignes
de contrôle du stimulus, les techniques d’exposition,
l’affirmation de soi ou entraînement aux habiletés sociales,
la thérapie cognitive. Il ne s’agit pas d’appliquer une
suite de recettes, mais d’établir une stratégie
thérapeutique pour chaque patient, en fonction de sa
problématique.
L'analyse fonctionnelle
L’analyse fonctionnelle se pratique au moyen d’entretiens
semi-structurés, ou à l’aide de grilles d’entretiens
structurés. Dans le cas de la personne obèse ou en surpoids,
doivent particulièrement être pris en considération :
L’histoire pondérale, les différentes méthodes
précédemment essayées, le statut pondéral des parents.
L’examen détaillé des échecs précédents permet de définir
les obstacles principaux.
Le comportement alimentaire,
ses variations, le degré de restriction alimentaire, les
pertes de contrôle, les compulsions, les boulimies, les
grignotages, l'alimentation nocturne.
L’estime de soi, les préoccupations concernant le
poids et les formes corporelles.
Une estime de soi basse, le poids et l’alimentation devenus
les éléments centraux de la vie du patient vont généralement
de pair avec des troubles du comportement alimentaire
importants.
L’image du corps.
Un corps rigide et maladroit, une gestualité pauvre,
l’insatisfaction de son apparence corporelle, le rejet de
l’image de son corps et des sensations corporelles sont des
éléments devant orienter vers des prises en charges
spécifiques.
L’utilisation que fait la personne de son obésité.
Si l’obèse souffre d’une image du corps dévalorisée, le
corps obèse et les excès alimentaires aident aussi souvent
la personne à se définir. Elle se pose face aux autres et
vis-à-vis d’elle-même comme un bon vivant épicurien, ou
comme une mère nourricière, voire comme un " méchant gros "
asocial. Ce caractère hors-norme tend à s’effriter au fur et
à mesure qu’on maigrit. La banalisation progressive est
alors vécue comme mettant la personnalité en danger ; la
reprise pondérale apparaît alors fréquemment au patient
comme le moindre mal.
Les difficultés relationnelles.
Le thérapeute comportementaliste prête tout particulièrement
attention aux difficultés d’affirmation de soi dans le champ
alimentaire (passivité face aux offres de nourriture, par
exemple) et en dehors (comportements passifs ou
passifs-agressifs, fréquemment suivis de compulsions
alimentaires). Il s’intéresse aux conflits de pouvoir
éventuels : certaines personnes subissent des pressions
familiales et sociales, voire médicales, leur intimant de
maigrir ; elles se trouvent alors écartelées entre leur
désir d’amaigrissement et le fait que céder aux pressions
constitue pour elles une forme d’abdication. Les conflits de
pouvoir sont à l’origine de bien des comportements
alimentaires paradoxaux et de courbes pondérales erratiques.
Les problèmes affectifs.
Ils sont souvent mis sur le compte du poids. Mais mincir ne
fait le plus souvent que les exacerber, confrontant
directement l’individu à ses manques.
Les attentes de la personne en surpoids vis-à-vis du
traitement.
Bien des personnes obèses vivent leur amaigrissement sur le
mode de la rédemption. Être mince devra alors profondément
modifier le cours de leur vie ; il s’agit parfois de
rêveries de richesse et de gloire, déconnectées de toute
réalité ; ou bien l’individu pense que l’amaigrissement lui
apportera la réussite professionnelle, lui permettra de
modifier ses comportements sexuels et ses relations
affectives. Un début d’amaigrissement aboutit à mettre
l’individu au pied du mur ; reprendre du poids devient alors
le seul moyen de préserver ses rêves.
Les troubles psychopathologiques associés.
Le thérapeute recherchera des antécédents de troubles du
comportement alimentaire (anorexie mentale, Bulimia nervosa),
d’épisodes dépressifs, de troubles anxieux, d’épisodes
d’attaque de panique. On s’intéressera aux conduites
addictives associées (alcool, tabac, psychotropes,
coupe-faim), aux troubles de la personnalité, aux
perturbations émotionnelles. On investiguera les conduites
pathologiques en matière de gestion du temps et de l’argent
(boulimies et restrictions d’achats, boulimies d’activité).
Un état dépressif, des troubles anxieux, émotionnels et
affectifs, des troubles de la personnalité importants sont
des contre-indications à l’amaigrissement immédiat et
doivent être pris en charge prioritairement.
L'information et la déformation diététiques
L’alimentation est le domaine privilégié de la pensée
magique. Beaucoup perçoivent mal la relation existant entre
les prises alimentaires et les variations de poids, pensent
qu’on peut grossir sans manger, par exemple sous le coup de
contrariétés et d’émotions fortes, ou bien qu’on peut
maigrir en mangeant de grosses quantités de nourriture, si
cette nourriture est une "bonne nourriture". Ils distinguent
les aliments, non pas selon des critères nutritionnels, mais
selon des critères moraux : certains aliments, tels les
sucres et les graisses, ou encore les viandes, sont ainsi
diabolisés tandis que d’autres, tels les fruits et légumes
frais, les laitages, sont portés aux nues, parés de toutes
les vertus.
Parvenir à échapper à l’idéologie du "diététiquement
correct" est un pas essentiel : l’objectif fixé à la
thérapie des troubles du comportement alimentaire sera de
manger de tout ce qu’on aime (friandises sucrées et salées,
viennoiseries…), mais aussi de manger globalement moins.
Le carnet alimentaire
La tenue d’un carnet alimentaire constitue le fondement de
la plupart des prises en charges cognitivo-comportementales.
Le patient tient un carnet alimentaire et répond aux
questions quoi, quand, où, comment. Outre noter ce qui est
mangé, il peut aussi éventuellement noter ce qu’il a eu
envie de manger, sans l’avoir mangé.
L’accent est mis sur la prise de conscience des prises
alimentaires en qualité et surtout en quantité, sur le degré
de restriction alimentaire, sur les sensations d’absence de
contrôle, sur les événements et situations en rapport avec
cette absence de contrôle.
La tenue d’un carnet alimentaire permet de centrer
l’attention de la personne sur les événements, les états
émotionnels, les discours intérieurs qui conduisent à des
prises alimentaires.
Le travail sur le comportement alimentaire
Il est illusoire de penser qu’on va parvenir à maigrir
durablement si on est régulièrement la proie de compulsions
alimentaires ou de boulimies. Le travail sur le comportement
alimentaire est souvent un préalable indispensable à tout
travail sur la perte de poids.
Une première façon de procéder consiste à promouvoir des
techniques de contrôle du stimulus:
— Les consignes de contrôle du stimulus ont pour but de
ralentir la vitesse des prises alimentaires, de les
cantonner dans des lieux précis et à des moments précis,
d’éliminer les situations favorisant les prises alimentaires
automatiques et incontrôlées, de diminuer les tentations.
Tout cela doit permettre une distanciation du sujet par
rapport aux situations alimentaires, une diminution des
moments de perte de contrôle.
— Les consignes ne sont pas données en bloc; il est demandé
au sujet, chaque semaine, de réaliser une consigne qui vient
s’ajouter à celles des semaines précédentes. Bien
évidemment, selon le comportement alimentaire de chacun,
certaines consignes seront particulièrement intéressantes,
tandis que d’autres seront sans raison d’être. Le programme
thérapeutique doit donc être personnalisé.
— On demande fréquemment au patient de manger assis, avec
des couverts et une assiette, de ne rien faire d'autre en
mangeant, de manger plus lentement. Il s’agit aussi de mieux
organiser et structurer ses prises alimentaires : on peut
par exemple planifier ses prises alimentaires, collations
comprises, sur la semaine (et non sur la journée), ranger
les aliments tentateurs hors de vue, réduire la consommation
de chaque aliment sans supprimer les aliments préférés,
prévoir un moment de détente, de relaxation avant chaque
prise alimentaire.
Une autre façon de procéder est de privilégier le travail
sur la
restriction cognitive:
— On
demande au patient de réintroduire dans son alimentation
quotidienne, en petite quantité, les aliments qu’il
considère habituellement comme interdits, "tabous", mais sur
lesquels il craque régulièrement.
— On lui demande de déguster ce qu’il mange, c’est-à-dire de
prêter une attention accrue au goût des aliments. Cela
revient en pratique à prendre de petites bouchées que l’on
garde suffisamment longtemps en bouche, afin d’en apprécier
les saveurs. Pour les aliments nourrissants, on constate
normalement que, de bouchée en bouchée, le goût se modifie :
plus on mange et moins c’est bon. Vient un moment où la
nourriture apporte moins de plaisir : on est suffisamment
rassasié.
— Bien souvent, consommer les aliments interdits en dehors
d’une perte de contrôle est angoissant et entraîne un
sentiment de culpabilité. Le thérapeute peut alors demander
à son patient de repérer et de noter le discours intérieur
qu’il se tient à cette occasion. Il s’agit le plus souvent
de craintes paniques de grossir ainsi que de pensées de
dévalorisation liées à l’idée de faute et de péché.
Le travail sur les situations conduisant à des excès
alimentaires
Manger est une réponse apprise, qu'on aura associéee à des
situations spécifiques: chagrins, angoisses, difficultés de
vie de toutes sortes. On ne parviendra à renoncer à la
réponse alimentaire qu’en la remplaçant par d'autres
séquences, mieux adaptées aux situations déclencheuses. Une
exploration minutieuse des problèmes rencontrés et qui
conduisent à manger trop permettra de trouver des moyens
plus satisfaisants de faire face aux péripéties de
l’existence.
Pour y parvenir, le thérapeute comportementaliste utilisera
différents outils thérapeutiques : techniques d’affirmation
de soi et de jeu de rôle, thérapie cognitive, méthodes de
relaxation sont couramment utilisées.
Dans bien des cas, ce travail sur l’usage que la personne
fait de son poids et de son comportement alimentaire occupe
le devant de la scène thérapeutique et nécessite un travail
de longue haleine, sur de nombreux mois. Il peut se faire de
façon concomitante avec le travail sur le comportement
alimentaire, ou bien le précéder, si on constate que le
patient n’est pas en mesure de réduire ses prises
alimentaires dans l’immédiat.
Les difficultés liées à l'amincissement
Mincir, c’est tout à la fois perdre son personnage social de
"bon gros" ou de "bonne grosse", c’est se retrouver au pied
du mur et devoir réaliser ses rêves ("quand je serai
mince…"). On se dit qu’alors on saura séduire, on saura
changer de métier, on sera plus dynamique, plus ceci, moins
cela. La réalité est moins aisée : bien des personnes sont
déçues par leur vie d’individu aminci : ainsi, ce n’était
que cela ! On ne m’aime pas plus, je ne réussis pas
davantage…
La thérapie est donc loin d’être finie quand la personne
maigrit !
La prise en compte des fluctuations alimentaires et
pondérales
Après une perte de poids, la reprise de poids (partielle ou
totale) n’est pas l’exception, mais bel et bien la règle. Il
est donc nécessaire d’apprendre à gérer les fluctuations de
poids.
Le patient doit être préparé au retour (qu’on espère
passager) des compulsions alimentaires, par exemple en
fonction de difficultés de vie inévitables.
La personne doit prendre conscience que des hyperphagies
ponctuelles ne sont pas "anormales", qu’elles peuvent être
gérées. Lorsque des problèmes surviennent qui réactivent les
hyperphagies, ceux-ci doivent être identifiés et pris en
compte.
Bilan et perspectives
L’approche cognitivo-comportementale est aujourd’hui
reconnue comme l’un des traitements de choix de l’obésité.
Est-ce mérité?
Non. En tant que "méthode amaigrissante", les approches
cognitivo-comportementales sont décevantes. Les études
scientifiques comparant l'efficacité des "thérapies
comportementales" aux traitements diététiques, aux
traitements par coupe-faim ou aux traitements par
augmentation de l’exercice physique montrent que, sur un
suivi de 1 à 2 ans, ces thérapies semblent plus efficaces.
Cependant, si on prend en compte une durée plus longue, de
l’ordre de 5 ans, ces différents traitements apparaissent
tous comme inefficaces.
En 1959, Stunkard et McLaren-Hume constataient que seulement
2% de leurs patients n'avaient pas repris le poids perdu
après 2 ans. Il semble que depuis lors, les progrès aient
été modestes: Kramer & all, en 1989 obtiennent moins de 3 %
de sujets ne reprenant pas le poids perdu après 5 ans,
Wadden, Stunkard et Liebschultz, en 1988 comptabilisent 10%
de stabilisation pondérale à 3 ans après diètes sévères
associées à thérapie cognitivo-comportementale, et Goodrick
et Foreyt, en 1991, estiment à 5% le pourcentage de poids
stabilisé à la baisse 5 années après un traitement
amaigrissant par thérapie cognitivo-comportementale.
De ce fait, les thérapies comportementales brèves,
uniquement centrées sur la tenue d’un carnet alimentaire et
les techniques de contrôle du stimulus, semblent avoir fait
leur temps.
En fait, les thérapies cognitivo-comportementales ne
constituent pas une méthode amaigrissante, mais un moyen
d'aborder un certain nombre de difficultés du patient en
surpoids.
Les objectifs qu'il est ainsi possible d'aborder sont en
premier lieu les troubles du comportement alimentaire et les
troubles psychopathologiques. Le
thérapeute comportementaliste honnête aide son patient à
trouver un certain confort physique et mental, en cassant le
cycle infernal de la restriction cognitive, en redécouvrant
son corps, en cessant d’avoir des réponses alimentaires face
à des problèmes non alimentaires, psychologiques et
relationnels. Il arrive, à l’issue de ce travail, que cela
permette au patient de perdre du poids.
Source :
gros.org et savairtea