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Bienvenue sur l'article des Tournantes
Le
Parisien , samedi 17 juin 2006
Des dizaines de jeunes impliqués dans des viols
collectifs en série |
Une
vingtaine de jeunes de Fontenay-sous-Bois ont été
mis en examen, et sept ont été écroués, mais les
auteurs présumés de viols collectifs commis pendant
des mois pourraient être plus de quarante. Deux
jeunes filles ont porté plainte.
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UNE LISTE d'une
quarantaine de noms de suspects, jusqu'à quarante-huit
peut-être, qui inquiète beaucoup du côté de
Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne). Depuis le début de
l'année, le juge d'instruction de Créteil Richard
Samas-Santafe enquête sur une série impressionnante de viols
collectifs, les fameuses tournantes, dans des caves de cités
de la ville. Une vingtaine de jeunes gens ont déjà été mis
en examen pour viol en réunion, et sept d'entre eux ont été
écroués entre la semaine dernière et hier.
D'autres pourraient connaître le même sort dans les
prochains jours. Les faits sont anciens, près de sept ans,
mais n'ont été révélés que cet hiver. Deux jeunes filles
d'une vingtaine d'années et donc mineures à l'époque, ont
déposé plainte. Au départ, pour des menaces. Puis, elles ont
décrit des files d'attente dans les caves, et des « séances
» se produisant dans différents quartiers la même journée.
Les viols supposés ont duré plusieurs mois, dans plusieurs
quartiers de Fontenay, notamment au lieu-dit la Redoute et
aux Larris, une cité classée alors par les renseignements
généraux parmi les « quartiers les plus durs » de France.
Le spectre d'Outreau
Entendues par la police, les plaignantes ont mis en cause de
nombreux jeunes. Elles en auraient identifié une partie sur
des photos extraites des fichiers de police. Les auteurs
présumés de ces viols avaient à l'époque 13, 14 ou 16 ans.
Certains ont reconnu des relations sexuelles consenties et
parlent de « filles faciles ». « La principale intéressée
est fragile psychologiquement, elle a été traitée en
psychiatrie, confie un proche du dossier. Mais cela ne
signifie pas pour autant que son témoignage doit être sujet
à caution. Elle peut justement être fragile à la suite des
viols répétés par des dizaines de types. A son retour dans
la cité, après une hospitalisation, les menaces dont elle a
alors été l'objet ont pu la pousser à parler enfin. » Les
avocats des jeunes mis en examen ont dénoncé la manière dont
est menée cette enquête hors norme. Ils citent des «
déclarations confuses », des « incohérences » dans les
propos des deux accusatrices. Des propos qui, selon eux, «
ne troublent pas le magistrat-instructeur, comme si l'on
n'avait tiré aucun enseignement d'Outreau ». « On comprend
mal pourquoi cela survient si longtemps après les faits et
comment autant de personnes peuvent êtres mises en cause »,
attaque M e Philippe Geny Santoni, qui défend deux jeunes
gens.
Un dossier de mille pages
« Les faits sont anciens, l'enquête n'en est qu'à ses
débuts, et je trouve extrêmement choquant de voir que, sur
simple dénonciation d'une personne, sept ans après, la
justice demande systématiquement des incarcérations,
commente M e Olivier Levandowski. Certains des mis en examen
n'ont aucun passé judiciaire. Mon client est inséré, il fait
des études et travaille parallèlement. » Hier après-midi,
son client n'a finalement pas été emprisonné mais placé sous
contrôle judiciaire. Tout au long de la semaine, des jeunes
de Fontenay, garçons et filles, et des familles se sont
pressés au palais de justice de Créteil, s'enquérant de la
moindre nouvelle de leurs copains. L'un d'eux, âgé de 28
ans, un maillot de football floqué « Drogba » sur les
épaules, ne croit pas à cette tournante : « Ça ne tient pas
debout. Ces filles étaient très connues à Fontenay, tout le
monde avait entendu parler de rendez-vous dans les caves de
quatre quartiers. » Mais le dossier du juge d'instruction
dépasse déjà les mille pages. Et, hier, il a confié
l'enquête à la police judiciaire.
Brendan Kemmet
« A mon avis, tout le monde savait »
ZAHRA MABROUK, déléguée départementale aux droits des
femmes du Val-d'Oise
Comment expliquer ces huit ans de silence ?
Dans ce genre d'affaire, les victimes ne peuvent en parler à personne.
Elles sont devenues la proie des garçons et ne trouvent
aucun refuge autour d'elles.
Tout le monde a
peur. Les filles de la cité ne peuvent pas prendre leur
défense par crainte d'être assimilées à ces « filles faciles
». Même leurs copines finiront par dire qu'elles l'ont
cherché et qu'elles n'avaient pas à sortir si tard le soir.
« Si tu dis quelque chose, tu pourrais finir comme elles. »
A mon avis, tout le monde savait dans le quartier.
Pourquoi n'en parlent-elles pas aux adultes, aux
associations de femmes ?
Les gars font pression. Le quartier, c'est une grande
famille. Les garçons connaissent tout d'elles, leurs
familles, leurs proches. Ils savent où elles habitent. Et
puis, elles ont honte. Le sexe est encore un sujet tabou.
Les associations se déplacent dans les collèges, les lycées
pour délier les langues. Mais quand elles arrivent à
convaincre trois-quatre personnes, sur une assemblée de
vingt, elles sont contentes. Les victimes de viol collectif
se sentent aussi coupables. Plusieurs fois, Samira Bellil
(NDLR : auteur de « l'Enfer des tournantes ») a voulu en
parler, mais personne ne la croyait.
On parle de viols collectifs depuis des années, pourquoi
n'a-t-on pas réussi à éradiquer le phénomène ?
Parce que les filles n'ont toujours pas trouvé leur place
dans les quartiers. Cela commence à venir, les associations
y travaillent, encouragent les filles à sortir, montent des
projets avec elles. Mais les garçons ne sont pas prêts à les
accueillir. Ils font de la résistance. Alors quand il y a un
viol, ils répondent qu'elle n'avait rien à faire là.
Y a-t-il un profil type de la victime de viol collectif ?
Ce n'est pas la fille qui ne sort jamais de chez elle. Elle
sera plutôt un peu plus libre qu'une autre, sort, parle avec
les garçons. Ils ne s'attaquent pas non plus à n'importe
qui. C'est une fille fragile dans le sens où elle n'a pas de
grand frère, ou le père est souvent absent de la maison, ou
les frères sont encore petits.
Les garçons arrêtés à Fontenay-sous-Bois étaient très
jeunes au moment des faits...
13-16 ans, c'est l'âge de l'éducation sexuelle. Les films X
circulent, on possède la femme, on la domine. Ensuite, il y
a le phénomène de bande. Les petits sont entraînés par les
plus grands. Tout le monde veut y goûter. La fille l'a fait
avec eux, alors pourquoi pas avec nous, se disent-ils. On a
vu des jeunes filles se rendre à heures régulières dans les
caves. Pour leur défense, les garçons disent qu'elles
étaient consentantes. Mais elles n'ont pas le choix.
Dans la cité, personne
ne veut y croire
MÈRE DE FAMILLE, proches, amis. Encore sous le choc,
une quarantaine d'habitants de la cité des Larris de Fontenay-sous-Bois se sont retrouvés hier
à 20 h 30 dans une salle de quartier pour faire le point. « C'est une histoire de dingue, résume
un jeune vêtu d'un maillot de l'équipe de foot du Brésil.
Tout le monde souffre ». Dans cette
cité qui mêle grandes tours et petites résidences, considérée comme zone sensible par les pouvoirs
publics, personne ne veut croire à ces viols.
« C'est pas possible : ici tout le monde se connaît,
explique Aziza, une mère de famille de 37 ans. Peut-être qu'il y a eu un petit quelque chose
mais là on parle de 90 viols : comment voulez-vous que ça reste caché pendant 7 ans ? Cette
histoire, c'est beaucoup trop gros pour être vrai ». Un jeune reconnaît avoir entendu parler
de relations sexuelles à répétition entre 1997 et 2000 mais, selon lui, aucun doute : « Elles
étaient entièrement consenties. C'était des filles au contact facile qui venaient chez les garçons.
Ça s'est passé à Fontenay mais aussi à Montreuil, Boissy-Saint-Léger ou Champigny. Et pas seulement
dans des cités, également dans des pavillons. Jamais, il n'y a eu de viol. »
Des jeunes filles
incrédules
« Tous les jours, il y a des interpellations, c'est une histoire de fous, raconte
Kader. Mon frère de 24 ans, marié, père de famille et qui n'habite plus Fontenay, est incarcéré
depuis le 8 juin. Il n'a rien à voir avec cette histoire et pourtant l'une des deux filles l'aurait
reconnu. Je ne dis pas qu'il n'y a rien eu, les filles ont peut-être été agressées. Mais de
là à impliquer et faire arrêter des dizaines de personnes. On peut se demander s'il n'y a pas
une certaine volonté de vengeance derrière tout cela. »
Un jeune d'une trentaine d'années à
l'origine de la réunion refuse d'en dire plus : « On ne veut pas parler, on veut que nos potes
sortent. » Un peu plus loin, une mère de famille revient sur l'interpellation de son fils. «
Les policiers ont débarqué mardi à six heures du matin avec leurs casques et des fusils. Deux
de mes fils ont été menottés au sol. Un autre a été emmené au commissariat : ils ont fini par
le relâcher, il est diabétique. Mais je ne sais pas ce qu'il va devenir. »
Deux jeunes filles
secouent la tête. « Ce qu'on reproche à ces jeunes, c'est impossible... On a grandi avec
eux, on est partis en vacances ensemble, on sait qu'ils n'ont rien fait ».
Du côté de la mairie
communiste, on indique avoir découvert l'affaire par des familles inquiètes des interpellations.
« Il faut que la justice fasse son travail, nous ne portons pas de jugement », souligne Pierre
Ducrocq, conseiller municipal délégué à la prévention de la délinquance et à la sécurité avant
d'ajouter : « Dans ces quartiers de Fontenay, de nombreuses associations travaillent pour la
prévention, sur les relations filles-garçons mais pas particulièrement sur ce type de phénomène
qui ne s'était pas produit jusqu'à maintenant. »
« Ma fille est loin d'être la seule victime »
LA MÈRE d'une des victimes
Comment va votre fille
?
Elle a été menacée, on lui a dit : « Si tu parles, on s'en prend à des personnes de ta famille.
» Aujourd'hui, ma fille est sous protection. Elle a été confrontée à certains de ces jeunes,
et ils ont parlé d'affaires que la police ne connaissait même pas.Elle est loin d'être la seule
victime. J'en connais cinq, et ce n'est pas fini. »
On parle d'une liste de quarante-huit auteurs
présumés de ces viols...
On est loin du compte.
Comment vivez-vous ces arrestations ?
Je suis
touchée de très près, mais je suis contente qu'on en parle publiquement. Ce qui s'est passé
est inacceptable et ignoble. Je ne peux pas vous en dire plus car l'enquête n'est pas terminée.
Il y a énormément de gens en cause, beaucoup de jeunes qui ont maltraité ces jeunes filles.
C'est une affaire d'une très grande ampleur. Ça ne concerne pas que Fontenay, mais d'autres
villes des environs.
Propos recueillis par B.K.
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